Ce roman scientifique a tracé son chemin à travers les troubles d’une déception politique. Politique ?!!!
Oui, si je suis effectivement astrophysicienne, parmi les rares qui font de la recherche dans mon petit pays, l’Albanie, les tournants de la vie m’ont plongé durant quelque temps dans la politique.
J’y ai été invitée il y a deux décennies. J’ai accepté d’adhérer à un parti politique, sans quitter l’université et mes étudiants. Je soutenais à l’époque l’hypothèse que l’idéalisme et le dévouement peuvent changer le monde. Je voulais le prouver par ma propre expérience. J’ai suivi un parcours politique de plusieurs années, qui m’a conduit jusqu’au parlement. Où, alors tout s’est avéré être un échec! Mon groupe politique s’est complètement écarté des promesses électorales. Une déception! Néanmoins, je ne suis pas restée muette. J’ai fait front. Je me suis donné le courage de créer un nouveau parti politique. Seulement il s’est effondré sous le poids d’une réalité où l’abus de pouvoir, la corruption, le mensonge, la calomnie et l’intrigue, sont devenus les normes de fonctionnement politique. Deux déceptions ! Dans ce processus âpre, j’ai découvert quelques caractères humains tellement déformés et tellement en opposition avec l’image qu’ils exposent, autant que le noir contraste avec le blanc, autant que la nuit contraste avec jour. Jour et nuit ?
– Il n’y a pas de nuit sur les planètes gravitant autour de Trappiste, – fut la première pensée qui me traversa tandis que je lisais des articles sur la découverte du système planétaire Trappiste et de ses sept planètes, dont trois sont susceptibles d’être propices à vie et, rêvons, à l’intelligence. C’était l’année 2016 ! Une coïncidence avec le point culminant de mon combat politique.
« Les planètes Trappiste probablement effectuent des rotations synchrones » – cette hypothèse scientifique m’attira. Cela veut dire que la période de leur rotation autour de leur soleil est égale à la période de la rotation sur eux même. Donc, les planètes montrent la même face à leur soleil. Comme notre Lune, qui nous montre toujours la même face, car en effet la rotation de la Lune est aussi synchrone.
– Il n’y a pas de nuit sur Trappist-1e, – fut la seconde pensée qui me traversa en pensant à la quatrième planète de ce système planétaire, infiniment beau et intéressant, qui se trouve 40 années-lumière de nous. – Alors, pour un habitant trappistine-1e, leur soleil garde une position immobile dans le ciel, donc il ne se lève ni ne se couche.
– A quoi pouvait ressembler un être ayant grandi dans une ville sans nuit?
J’ai eu besoin d’écrire un essai, malgré les difficultés dues à l’absence d’arguments. A travers cette planète lointaine, je méditerais sur l’influence du jour et de la nuit de ma planète Terre, du chaud et du froid, du gel et de la chaleur ardente, de l’obscurité profonde et de la lumière aveuglante, sur les caractères des êtres humains. Sur ces caractères choquants, également, que la vie politique me fit côtoyer.
– Il n’y a pas de nuit sur Trappiste!
Un temps qui coule uniformément dans une lumière éblouissante m’incita à imaginer des êtres sans haine, sans jalousie ni cupidité, qui ne connaissent ni mensonge, rancune, trahison, violence…
– D’où viennent les épouvantables horreurs qui arrivent sur Terre? Les guerres, la barbarie, la bestialité, la terreur, les blessures, l’extinction. La nuit profonde les amène, après un jour lumineux et avant une nouvelle journée, – je commençais à le penser.
– Aurais-je souhaité vivre dans un monde uniquement fait de jour, douceur, compassion, reconnaissance, transparence, respect, sensibilité ? – je commençais à me le demander.
– Que pouvait bien enfanter une ville sans nuit?
….
Quelque mois plus tard, Point Rose était né. Il était dédié à la découverte des exoplanètes, les planètes hors du système solaire. Il portait le nom de Proxima b, notre plus proche exoplanète, découverte la même année, en 2016. Le vague de la douleur était retombée et une envie m’envahit d’aller dans ma ville natale pour contempler un panorama bien-aimé : deux rivières, l’une trouvant sa source dans le lac et l’autre venant des montagnes, se rencontrent au-dessous d’une colline. C’est là que j’avais appris à aimer les montagnes, les lacs, les mers, le froid glacial et la chaleur brulante. C’est là que j’avais appris à aimer ma planète. Ce corps galactique où les habitants disent : Je t’aime ! Je te hais !
– La nature a été clémente avec ma planète, – j’en convenais – où le jour et la nuit, le chaud et le froid, l’obscurité et la lumière, l’hiver et l’été, l’eau et la sècheresse, la glace et la vapeur, la roche et la boue, le crépuscule et l’aurore, le sable et les feuilles, la mer et les montagnes, ont donné à la fois de la joie et de la tristesse à la vie, à l’homme, aux hommes.
Point Rose est Proxima b. Ses personnages Sara, Eric, Robert, Lorenzo, Nathalie, Lourdes … sont les successeurs de Johannes Kepler ou Edwin Hubble. Ils portent des noms imaginaires pour représenter ces gens bien réels, les chercheurs, qui conçoivent des instruments fabuleux d’observation, rassemblent patiemment leurs données, construisent des modèles théoriques les plus sophistiqués pour comprendre toujours plus finement l’univers, découvrent sans arrêt de nouvelles connaissances sur le monde qui nous entoure, essayent de trouver où sont les extraterrestres de notre galaxie, en ressemblant eux-mêmes à des extraterrestres, mais en restant des gens ordinaires, pleins d’inquiétudes et de joies, de doutes et de méditations, comme chacun de nous.
Mimoza Hafizi, professeur d’Astrophysique à l’Université de Tirana et membre associée de l’Académie des Sciences, Albanie.
